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Diabolus in Musica - I
Les noms de Charley Patton, Sylvester Weaver & WC Handy évoquent-ils pour vous quelque chose? Alors, p't'être Eddie 'Son' House ou 'Bukka' White? Robert Johnson et Charlie Christian alors ?!
Et qu'ont-ils en commun? Z'étaient noirs, afro-américains et ont popularisé LE Blues il y près de 100 ans!
OK! Mais quel lien avec le titre de cette chronique?! Oh, c'est bien plus qu'un lien, le Blues EST la musique du diable! Soit dit en passant, le Blues a eu un bébé appelé Rock'n'Roll !
Pour ceux que ça intéresserait, j'ai brossé en fin de texte un bref survol historique expliquant notre manque d'information quant à l'évolution du Blues au début du siècle dernier.
I – Les omniprésents accords de 7è
Mais ma première motivation à commettre cette chronique, c'est l'apport des accords de 7è dans le Blues.
D'abord, une parenthèse sémantique. Quand on fabrique un accord majeur, on prend la tonique, la tierce et la quinte de la gamme najeure. Quand on passe en accord de 7è, on ajoute la 7è note de la gamme majeure, mais abaissée d'un ton, donc b7. Il existe cependant une gamme légèrement différente de la gamme majeure, appelée gamme dominante, où la 7è est abaissée d'un demi-ton comparativement à la gamme majeure. Ainsi, quand vous lisez «Cdom7» ou «C dominant 7», il s'agit du très usuel C7 que vous connaissez. C'est aussi pourquoi il ne faut pas appeler ce C7 là, CMAJ7. Ceci étant dit, ça ne chamboulera aucunement nos vies!
On se rappelle en passant que le Blues (comme la musique populaire, le rock et bien d'autres styles...) est majoritairement construit sur un patron de suite d'accords I-IV-V.
Regardons en particulier dans une suite Fa-Sib-Do, la relation Do7 (V7) et Fa (I) :
Observez bien ce qui se passe sur les 3è et 4è cordes lorsqu'on passe du Do7 au Fa et écoutez la résolution de tension au passage entre Do7 et Fa. Comment est-ce possible?
Rappelons-nous la gamme (diatonique) de Do majeur :
Dans un accord de 7è (T+3+5+b7), la relation entre le tierce (3) et la septième (b7) est une quinte diminuée, autrement dit, un demi-ton de moins que la quinte parfaite. Cette relation dissonante génère de la tension. La tension causée par la quinte abaissée du Do7 est résolue en devenant une tierce (majeure) dans l'accord de Fa.
Prenons une suite d'accord, I-IV-V en Do, soit : Do, Fa & Sol. Observons en particulier Sol7 (V7) vs Do7 (I7) :
Ces deux accords semblent bien aller ensemble, pourtant la résolution de tension n'est pas aussi satisfaisante que dans Sol7 (V7) vs Do (I) :
Il est donc tout à fait logique que le Blues, musique dont on dit qu'elle sert à extérioriser la souffrance de l'âme, fasse un usage extensif des accords de 7è. Ouais, mais de là en faire la musique du diable?!?!
Observons les gammes diatonique et chromatique de Do majeur :
Si on observe la place occupée par la quinte diminuée au sein de la gamme chromatique, force est de constater qu'elle occupe le point milieu, en plein centre de la gamme. Or, au Moyen-âge, seul le divin pouvait être au centre de toute chose. J'veux ben, mais quel est le lien ? Pour le trouver par vous-même, jouez un doublon constitué d'une tonique et sa quinte diminuée... Yerk! Diabolus in Musica! Seul le diable a pu ainsi corrompre le milieu! Dès lors, l'intervalle de quinte diminué fut banni de la musique religieuse... autant dire de toute musique européenne de l'époque! De par son usage intensif des accords de 7è dominante, Blues = musique du diable!
Alors, imaginez Robert Johnson et sa guitare endiablée poussant son «Crossroads», Me an the Devil Blues ou encore «If I got possession over Judgment Day» dans une gargotte au 17è siècle! Il n'en aurait certainement pas fallu davantage pour qu'on le retrouve rapidement en train de frire à petit feu (bois non sec pour faire durer le martyr) au-dessus de sa diabolique guitare en guise de petit bois d'allumage!
Car Crossroads raconte mythiquement que Johnson s'est rendu à la croisée des chemins où il aurait vendu son âme au diable en échange d'un talent musical. Mais rassurez-vous, ça n'aurait pas pu se réaliser ailleurs qu'au États-Unis (et donc beaucoup plus tard) comme Bob Brozman l'a souligné avec humour : «Si l'aventure de Robert Johnson à la croisée des chemins s'était produite en Grande-Bretagne, il aurait plutôt chanté ««Je suis passé par le carrefour giratoire...». Connaîtrions-nous le même Blues?
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Notes historiques
Pauvre Blues, il a connu tellement d'embuches! Notre connaissance de ses origines est très fragmentaire, nous venant principalement de l'histoire de l'esclavagisme américain : on enlevait des noirs issus de tributs de l'ouest... africain. On démembrait les familles et on veillait à déposséder chacun de tout ce qui pouvait le rattacher à ses racines, instrument musical inclus. On interdisait même l'usage de la langue originelle. Par contre, croyant qu'un esclave qui chantait était un esclave heureux, on les laissait chanter, la rythmique des chants, souvent sous forme «question-réponse», favorisant le rythme de travail dans les champs. Cette seule entorse à la règle générale de déracinement aura permis qu'éclosent les racines du Blues.
Le terme Blues serait apparu en 1860, mais ce n'est qu'en 1912 que WC Handy l'utilisera dans le titre d'une chanson. Entretemps, la guerre civile américaine et la guerre de «14-18» auront fait en sorte que la musique afro-américaine soit occultée dans les livres d'histoire. Ce n'est que dans les années ''20, avec l'arrivée des enregistrements vinyles, qu'on pourra retracer l'activité de bluesmen, le plus connu étant alors Charley Patton, né en 1891. Sylvester Weaver l'avait cependant devancé de quelques années côté enregistrement. La grande crise (financière) de 1929 repoussera encore une fois cette musique dans l'oubli. Robert Jonhson endisquera en 1936-37 avant de disparaître. Dans les années ''30, le Blues battait son plein dans les bars clandestins (Ah! le goût du défendu!) de l'époque de la prohibition américaine. Par la suite, les restrictions accompagnant l'industrie de guerre «39-45» firent restreindre la production de vinyles, le Blues retombant dans l'oubli du côté des maisons d'édition. Ah! Si le Blues n'avait été ainsi contraint!