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Comprendre le Blues - Phrasé musical
Si je vous demande : «Superbe journée, vous ne trouvez pas ?» On observe un silence parce que vous ne voyez pas le rapport avec le Blues, puis, poliment, vous m'offrirez une réponse. Bref, lors d'une conversation, une question suscite une réponse, le tout pouvant évidemment prendre différentes tournures.
C'est tout là l'art du Blues : un langage ! Rappelez-vous l'élément fondamental du Blues : la musique de l'âme ! Le bluesman expose, sous forme de complainte, une situation qui (lui) pose problème, source d'inconfort, de son combat intérieur. Il formule à la fois le problème et les solutions potentielles. On pourrait dire qu'il le fait en questionnant une situation, tout en mentionnant des réponses qu'il a eu ou qu'il aurait souhaité recevoir. Ou encore qu'il soumet un sujet qui semble demander développement, lequel sera effectivement apporté. En anglais, on dit qu'il s'agit d'un dialogue de type «Question & answer» dont on dit qu'il qui se traduit musicalement en «Call & response». Je me permettrai donc d'utiliser l'expression «Question & réponse». Ainsi, le solo de Blues consiste à «converser», entretenir musicalement une interaction.
Comme on l'a vu, le Blues à 12 mesures se résume en trois lignes de quatre mesures chacune. Chacune de ces lignes comportera une phrase. Alors que la première ligne suffit généralement à présenter le sujet, la deuxième vient habituellement le préciser, en renforcer le caractère, y ajouter une émotion. La phrase finale est porteuse de résolution, apporte un éclairage.
Musicalement, la deuxième phrase ressemblera à la première avec quelques variations, les deux généreront de la tension, tandis que la troisième leur répondra et désamorçant la tension.
Maintenant qu'on connaît la rationnelle, comment s'y prendra-t-on ?!
Lorsque vous parlez, vous utilisez non pas l'alphabet, mais un vocabulaire. Et dans ce vocabulaire, toutes les lettres de l'alphabet n'ont nécessairement pas la même importance. Il en est de même des mots qui composent une phrase. En écrivant cette phrase, me vient la réflexion que le Blues écrit en français ne devrait pas sonner comme le Blues américain, le Blues britanique, etc. Si Doc Watson a mentionné qu'«il y a différentes sortes de Blues», Bob Brozman qui a beaucoup voyagé et «jammé» à travers le monde a poussé plus loin en affirmant que «Chacun a son Blues».
Tout comme en linguistique, les notes de la gamme ne sont pas d'égale importance dans le phrasé musical. Ce concept vous était peut-être connu, sinon vous vous en doutiez peut-être intuitivement : toutes les notes de la gamme ne peuvent être présentes dans un accord de guitare à six cordes ! Il s'avère donc inutile de tenter d'enchaîner toutes les notes de la gamme dans un solo : vos risqueriez que ça sonne bêtement comme la récitation d'une gamme, plutôt que de la musique. Dit autrement, dans la mesure où le Blues est un langage, il ne faudrait pas donner l'impression d'égrener tout l'alphabet à la recherche de vos mots. Ce sera donc l'agencement que vous ferez des notes qui donnera son sens à votre musique.
Secondairement, on touchera la question de la densité du phrasé musical : préférez-vous un orateur très en verve, qui d'une voix haut perchée, vous bombarde de mots et de clichés, ou bien un orateur qui a choisi ses mots, fignolé ses intonations, dosé ses silences ? Oui ! Le silence! Soit dit en passant, le silence peut laisser place à la relaxation, mais il peut aussi produire un inconfort, un vide qui qui peut vous tenir en éveil, mais qui appelle à être meublé. Donc, lequel de ces orateurs pourra davantage retenir votre attention ? Lequel vous propose une interaction ?
Musicalement, la mitraille chromatique risque de vous saturer les oreilles, vous laissant éventuellement avachi au fond de votre fauteuil, vidé de votre adrénaline, épuisé par la tension soutenue. À l'opposé, un jeu dynamique fait d'alternance entre des phrases qui vous feront retenir votre souffle assis sur le bout de votre siège et des phrases plus posées et relaxantes, vous laissant alors bien adossé, vous procurera ce sentiment d'interaction, de dialogue, avec le musicien.
Remarquez qu'une envolée oratoire peut occasionnellement ponctuer à bon escient un dialogue : mon point est qu'elle n'est aucunement nécessaire. La mitraille chromatique ne constitue aucunement un «MUST». Quelques notes bien agencées, parfois enrichies d'effets techniques, suffiront à livrer une discours cohérent, voire éloquent.
On pourrait m'accuser de dénigrer la mitraille parce la vitesse d'exécution nécessaire est au-delà de mes capacités. De fait, le constat de sa non nécessité m'a rassuré ! Vive le «slow Blues» !
Enfin, si un bon orateur peut se permettre de forger une expression qui illustrera parfaitement son propos, il n'y a aucun mal à utiliser ponctuellement une expression connue. Doit-on toujours penser à réinventer la roue ? Toby Walker nous incite à copier des solos (signatures) d'autres musiciens. Bon, en anglais, il parle en badinant de "voler", je préfère emprunter...
(à suivre...)